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La circulaire du Ministre de l’Intérieur du 9 mars 2020 relative au vote par procuration : Une entorse au code électoral validée par le Conseil d’Etat par Pierre-Paul MUSCATELLI, avocat associé

La circulaire du Ministre de l’Intérieur du 9 mars 2020 relative au vote par procuration : Une entorse au code électoral validée par le Conseil d’Etat par Pierre-Paul MUSCATELLI, avocat associé

Publié le : 27/04/2020 27 avril avr. 04 2020

« L’instruction relative aux modalités d’exercice du vote par procuration » intervenue le 9 mars 2020 a prévu, afin de limiter la propagation du Codiv-19,  des dispositions particulières pour l’exercice du droit de vote par procuration au profit non seulement des électeurs malades et de leur entourage, mais également des « personnes vulnérables au virus et hébergées dans un accueil collectif » (EHPAD, notamment.)   

Pour ces dernières, le texte recommande la désignation en qualité de « délégués d’un OPJ » des directeurs ou d’agents des établissements d’accueil pour recevoir les demandes de procuration.

S’agissant des structures qui se trouveraient placées en confinement ou quarantaine du fait de la présence du virus, Il prescrit parallèlement le déplacement de l’autorité chargée de recueillir ces demandes, après centralisation de celles-ci par un délégué d’OPJ qui doit être Directeur ou agent de la structure.

La légalité de la circulaire a été contestée devant le Conseil d’Etat, saisi  par l’association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) d’une requête présentée  sur le fondement des dispositions de l’article L 521-2 du code de justice administrative (Requête en référé liberté) aux fins de suspension des dispositions rappelées ci-dessus.

Par une ordonnance n° 439434 rendue le 11 mars 2020, son juge des référés a rejeté ce recours en considérant, pour ce qui est de l’établissement des procurations dans les établissements sanitaires et sociaux :

(Qu’) en dépit d'imprécisions dans sa rédaction, il résulte de l'ensemble de l'instruction que le ministre de l'intérieur n'a prescrit aucune dérogation aux dispositions du code électoral citées ci-dessus (articles R 72 et R 73), en vertu desquelles la personne qui recueille, à la demande de l'électeur, le formulaire de procuration et les pièces nécessaires à son établissement, d'une part, ne peut être, à défaut d'avoir la qualité d'officier ou d'agent de police judiciaire compétent pour établir la procuration, qu'une personne déléguée par l'officier de police judiciaire et agréée par le magistrat qui a désigné ce dernier et, d'autre part, n'a pas compétence pour établir elle-même la procuration. 

Eu égard à l'ensemble du contenu de l'instruction, qui n'a ni pour objet ni pour effet de permettre la méconnaissance du code électoral, et aux précisions apportées par le directeur des affaires civiles et du Sceau le mardi 10 mars 2020 au soir à l'ensemble des procureurs généraux près les cours d'appel et des procureurs de la République près les tribunaux de grande instance, en vue de leur diffusion aux officiers et agents de police judiciaire habilités à établir des procurations, l'association requérante n'est pas fondée à soutenir qu'il serait porté, par cette instruction, une atteinte grave et manifestement illégale à la libre expression du suffrage. »
 
L’instruction prescrit pourtant expressément « le déplacement de l’autorité (Laquelle peut être un délégué d’OPJ – Cf. point 3.5 de l’instruction) chargée de recueillir la demande » de procuration qui aura été préalablement reçue par le directeur ou un agent de l’établissement d’hébergement en confinement ou en quarantaine, dès lors que ceux-ci ont la qualité de délégué d’OPJ.

Ce qui implique que, dans une telle situation, le délégué d’OPJ susceptible de recevoir les demandes de procuration fait nécessairement partie du personnel de l’établissement.

Si l’habilitation en qualité de délégué d’OPJ du directeur ou d’un agent d’ « établissement collectif accueillant des personnes vulnérables » fait, de prime abord, simplement  l’objet d’une recommandation, celle-ci devient en réalité une obligation dès lors que la structure  est en confinement ou en quarantaine.

En effet, et dans ce cas de figure, le délégué d’OPJ qui, normalement, se déplace pour recueillir les mandats des personnes hébergées directement auprès d’elles, pour les remettre ensuite à l’OPJ seul habilité à établir la procuration, ne se rendra dans l’établissement que pour récupérer les demandes de procuration auprès du Directeur ou de l’agent de l’établissement qui les aura préalablement reçues en sa qualité de délégué d’OPJ.

D’un point de vue purement pratique  et matériel, le délégué qui remettra les procurations à l’OPJ n’aura pas été en contact direct avec les mandants, mais seulement avec le délégué d’OPJ de l’établissement, ce qui est effectivement de nature  – comme le souligne l’instruction – « d’éviter d’augmenter le risque d’introduction du Covid-19 dans de tels établissements, en recourant à des personnels qui y travaillent déjà ».

Il  n’en demeure pas moins que sur le plan juridique, l’instruction impacte  sur les  dispositions  du second alinéa de l’article R 72 du code électoral en vertu duquel :

Les délégués des officiers de police judiciaire sont choisis par un officier de police judiciaire déléguant avec l'agrément du magistrat qui l'a désigné. »

Si l’on s’en tient en effet aux termes de la circulaire du 9 mars 2020 : Dans un établissement faisant l’objet «  de mesures de confinement ou de quarantaine » seuls son directeur ou un de ses agents seraient en mesure d’être choisis comme délégués pour recevoir les procurations :

« Dans les hébergements collectifs accueillant des personnes vulnérables, la désignation des directeurs de ces établissements , ou d’un agent désigné par l’OPJ et le juge comme délégués d’un OPJ afin de recevoir les demandes de procuration des personnes vulnérables qui y sont hébergées est recommandée.
(…)

Concernant les établissements qui font l’objet de mesures de confinement ou de quarantaine, le déplacement de l’autorité chargée de recueillir cette demande est prescrit, après le cas échéant centralisation de l’établissement de procuration par un délégué d’un OPJ désigné à cet effet et dans les conditions mentionnées supra. » 


Ce faisant,  l’instruction ajoute  à l’article R 72 du code électoral une exigence qui n’y est pas  prévue, dès lors que ce texte ne limite nullement le choix des délégués d’OPJ amenés à intervenir dans des établissements confinés ou en quarantaine à son seul directeur ou à l’un de ses agents. 

La circulaire du 9 mars 2020 peut ainsi être regardée, sur ce point,  comme "fixant des règles nouvelles et présentant par suite un caractère réglementaire" au sens de la jurisprudence "Institution Notre Dame de Kreisker" (CE, ass., 29 janv. 1954 : Rec. CE 1954, p. 64) qui a consacré la recevabilité du recours pour excès de pouvoir contre de tels actes.

Le dernier état de la jurisprudence en la matière est fixé par l’arrêt « Mme Duvignères » (CE 18 décembre 2002– Req n° 233618), à travers lequel le Conseil d’Etat a posé le principe suivant lequel :

"(…) l'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en œuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief ; 

Qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief, tout comme le refus de les abroger ; 

Que le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si, alors même qu'elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu'elles sont illégales pour d'autres motifs ; 

Qu’il en va de même s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure".


Le juge administratif examine le contenu de chacune des dispositions d'une circulaire ou de ses annexes  ( Cf. J Cl Adm Fasc 1140 n° 35 ; CE, 15 nov. 2010, n° 334917, OPH Marne et Chatereine Habitat : JurisData n° 2010-021498) pour déterminer leur caractère impératif.

Dans le cas présent,  les dispositions de l’instruction ministérielle du 9 mars 2020 relative aux conditions dans lesquelles les demandes de procuration sont reçues au niveau des établissements collectifs accueillant des personnes vulnérables faisant l’objet «  de mesures de confinement ou de quarantaine » apparaissent présenter un caractère impératif dès lors qu’elles ne se bornent pas à interpréter un article règlementaire du code électoral  mais rajoutent à celui-ci. 

Le Ministre de l’Intérieur ne tenant d’aucun texte le pouvoir d’édicter de telles prescriptions, celles-ci apparaissent entachées d’illégalité comme émanant d’une autorité incompétente.

En ce sens : CE 26 septembre 2018 FNSEA et FDSEA – Req n° 406169

A travers son ordonnance du 11 mars 2020, le juge des référés du Conseil d’Etat n’a toutefois opéré aucune distinction entre les dispositions de la circulaire traitant des  demandes de procuration reçues dans des établissements collectifs accueillant des personnes vulnérables ne faisant l’objet d’aucune mesure de confinement ou de quarantaine, et  les structures qui y sont soumises.

Si la décision évoque – et surement à juste titre - des  «imprécisions » rédactionnelles, il n’en demeure pas moins que certaines des dispositions de la circulaire du 9 mars 2020 sont beaucoup plus qu’imprécises, puisqu’illégales du fait de leur caractère impératif.
 

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